En 1986, c’était le 31 décembre alors que nous étions 5 milliards de Terriens. En 1999, c’était le 29 septembre avec 6 milliards d’habitants. En 2019, c’était le 29 juillet, alors que nous étions 8 milliards. Peu à peu, le Jour du dépassement, qui marque le jour de l’année où l’humanité a épuisé les ressources renouvelables de la planète, recule. Quelle sera la date de dépassement en 2050, quand nous serons 10 milliards sur la Terre ? Pierre Paperon, Ambassadeur de MAJ et Fondateur de la Ferme Royale du Berry, n’attend pas de le savoir. Il s’est lancé dans une expérimentation grandeur nature pour tenter de répondre à différents enjeux de notre société : contribuer à nourrir la planète, favoriser la mixité générationnelle, faire baisser le bilan carbone, créer un modèle d’économie circulaire, lutter contre la désertification des campagnes… Pour découvrir cette expérience inédite, accompagnez Pierre Paperon dans la visite de sa ferme à Thevet Saint-Julien près de Châteauroux.
Quelle est votre vision de la société en 2020 ?
Pierre Paperon > Vous m’auriez posé la question il y a 2 mois, dans les premiers jours de mars, ma réponse aurait été très différente. Mais déjà avant la crise de la Covid-19, le monde était bancal. Savez-vous que 97 % des finances mondiales sont basées sur du volatil ? La convertibilité des monnaies n’a donc plus de sens aujourd’hui. C’est ce qui a conduit à la crise des subprimes aux États-Unis, qui a entrainé le monde dans sa chute dans les années 2007 à 2011. Mais aujourd’hui, le rouleau compresseur de la crise sanitaire a ébranlé encore plus brutalement nos certitudes sur la société. Sans tomber dans le catastrophisme, les constats sont sévères : avec 15 à 20 % de baisse du PIB cette année en France, la décroissance est plus importante que tout ce qui a existé depuis 2 siècles. Ailleurs dans le monde, le constat est le même. La Banque d’Angleterre, par exemple, prédit 19 % de baisse du PIB en Grande-Bretagne. Du jamais vu depuis 1712 !
Les conséquences sociales risquent d’être sans précédent, avec des chiffres qui dépassent l’entendement : 20 % de nos entreprises pourraient se retrouver en faillite, 25 % de nos concitoyens pourraient se retrouver au chômage, et le nombre des Français sous le seuil de pauvreté pourrait passer de 16 % à 30 %… En l’espace de 2 mois seulement, l’état de la France et du monde s’est terriblement dégradé sur les plans environnemental, économique, social… Dans ces conditions, le gouvernement tente de faire front, mais souvent en assénant des ordres et conseils contradictoires : vous êtes des personnes responsables, alors prenez-soin de vous, mais on vous impose d’entrer en confinement et vous êtes privés de liberté ; on vous incite à opter pour les déplacements doux en vélo, tout en oubliant de demander 20 m de distance entre chaque cycliste.
Nous sommes entrés dans une phase où les messages doivent être manipulés avec précaution. Dans les médias, chaque prise de parole devient pour les experts un exercice périlleux. Ce qui est vrai aujourd’hui sera faux demain. L’incertitude règne. Dans ces conditions, comment voulez-vous que les personnes arrivent à satisfaire leurs besoins élémentaires ? Se nourrir, notamment, devient une priorité, pour que la crise ne s’accentue pas encore. Souvenez-vous : au 18e siècle, une révolte de la faim, la « Guerre des Farines », a été le prélude de la Révolution Française !
Vous avez donc créé la Ferme Royale du Berry pour cette raison ?
P.P. > C’est l’une des raisons en effet, même si l’initiative de la ferme est née avant la pandémie de Covid-19. J’étais déjà très à l’écoute des inquiétudes sociales et environnementales. Je suis père de sept enfants et je cherchais à leur assurer une certaine autonomie, quels que soient les événements à venir. À l’été 2019, j’ai eu un véritable coup de foudre pour cette ferme de 23 hectares, avec sa grange, dont l’allure majestueuse m’a fait l’effet d’une cathédrale. Le projet a ainsi pris corps et la Ferme Royale du Berry a été imaginée pour être une réponse directe à deux enjeux majeurs pour notre société : la désertification des campagnes, qu’elle soit liée au manque de médecins, de services publics ou des transports, et les dérèglements climatiques.
Je l’imagine comme une ferme expérimentale à grande échelle, avec un senior camp, un espace de co-working ou un « very open space », un lieu d’agro-tourisme, une vitrine d’énergie multimodale et une exploitation agricole ouverte à tous, pour explorer, expérimenter, réfléchir, découvrir et créer des nouvelles relations entre l’être humain, la Terre, l’eau, l’énergie, la nature et… les autres humains.
[ Quésako ] Le « token », nouvelle unité d’échange virtuelle.
Le token, ou « jeton » en français, est une unité de compte, un quantum d’information sécurisé, qui permet de fabriquer et de tracer des actifs immatériels (ou pas), mais aussi d’échanger et de partager des services et des biens entre pairs. Il présente l’avantage d’être certifié et authentifié avec la technologie Blockchain.
Le token, qui peut prendre des formes très variées – un titre de propriété, une part de brevet, une confirmation de transaction ou de partage de services –, bénéficie d’une traçabilité digitale. On sait ainsi précisément quand et où il a été produit, puis il est suivi au fur et à mesure des transactions, à l’inverse d’un billet de banque qui passe de main en main, sans que l’on sache combien de personnes l’ont tenu et utilisé.
Quelles sont les activités développées au sein de la Ferme Royale du Berry ?
P.P. > J’ai cherché à répondre aux enjeux de notre société avec la vision d’une démarche systémique. Par exemple, contre la désertification des campagnes, pour attirer de nouveaux ruraux et renforcer les liens intergénérationnels, j’ai eu l’idée d’accueillir des jeunes startups dans un espace de coworking, en même temps que des seniors à la ferme dans l’objectif de les aider à mieux prendre en charge leur santé avec des exercices physiques. Dans cet objectif, je leur propose de résider sur place tout en se rendant utile, en consacrant un peu de leur temps chaque jour pour contribuer aux travaux agricoles et d’entretien, ou de travailler à la création de nouvelles activités, comme une micro-brasserie.
Je travaille aussi sur le développement de nouvelles filières agricoles, en l’occurrence la culture de la morille, que l’on a réussi à industrialiser à hauteur d’1 à 2 tonnes par hectare. C’est très rentable ! Nous cultivons aussi du bambou sur 13 hectares. C’est une activité très développée en Italie avec plus de 5 000 hectares plantés en 10 ans. Le bambou peut être utilisé pour l’alimentation humaine, pour fournir la matière utile en architecture intérieure et extérieure, pour créer un parc… Nous exploiterons aussi cette activité dans le cadre d’événements de team building, pour resserrer les liens entre collaborateurs, avec la construction de cabanes en bambou. Certains bambous poussent d’un mètre par jour. Pour les équipes, ce sera étonnant de constater que leur cabane s’élève d’un jour à l’autre…, surtout s’ils ont dormi dedans. Le vivant de la nature devient ainsi palpable. Il est aussi possible de produire de l’alcool de bambou, que l’on fait vieillir comme on le ferait dans un chai pour le vin. N’oublions pas non plus que le bambou est connu pour ses propriétés de phytoremédiation pour nettoyer les eaux usées et les fosses septiques.
Enfin, la troisième filière agricole est liée à la transformation des sangliers une fois qu’ils ont été chassés par les sociétés de chasse environnantes. La grange, immense cathédrale rurale de 800 m², est idéale pour développer une activité de découpe et de salaison de la viande.
Vous vous concentrez donc principalement sur l’agriculture de demain ?
P.P. > Pas seulement. Mon objectif est de développer un modèle de société bien plus complet. Je vais notamment proposer des nouveaux modes hébergements pour des séjours : cabanes sur pilotis, lounges, tiny houses,… Je veux aussi transformer la ferme en un puits de carbone dynamique. Le bambou a en effet la capacité de capter 300 tonnes de CO2 par hectare. À partir de ce constat, j’ai proposé un projet au ministère de l’Environnement, fonctionnant sur la base de tokens – chacun représentant une tonne de CO2 – que l’on peut vendre à des entreprises sous la forme de certificats carbone. Nous allons en plus installer une centrale solaire pour produire de l’électricité et de l’hydrogène (par pyrolyse). Les utilisations, au-delà des besoins en énergie, sont multiples, notamment en tant que carburant pour des véhicules diesels facilement convertibles à l’hydrogène.
Je souhaite, un peu plus loin dans le temps, développer de nouveaux modèles économiques, sur la base d’approches collaboratives pour favoriser les échanges locaux, renforcer le lien social et lutter contre l’exclusion. J’ai déjà travaillé sur ce sujet, en accompagnant la création d’une monnaie virtuelle vertueuse à partir de la technologie Blockchain, pour le compte d’une commune. La Blockchain et l’économie locale vertueuse pourraient en effet révolutionner la manière d’échanger. Concrètement, une heure de bénévolat par exemple peut être échangée contre 100 kWh d’énergie ou 500 km de mobilité électrique. Un pot de miel ou un saucisson peut être échangé contre une heure de garde d’enfants, une heure d’astreinte d’un pompier volontaire ou un service de bricolage. Autre exemple : une mairie peut échanger, contre des tokens, la mise à disposition le week-end de locaux de réunion, d’un minibus ou d’une salle des fêtes. N’oublions pas que les taxes versées par les habitants ont permis l’achat de ces biens au service de la communauté. Ce mode de partage est dans la ligne droite du fonctionnement par mise en commun qui a abouti à la notion de communal (Cf. les « commons » décrits par Jeremy Rifkin dans son ouvrage « La Nouvelle Société du coût marginal zéro »).
La nouveauté de cette approche consiste à utiliser la technologie Blockchain pour non seulement fabriquer les unités authentifiées et certifiées de temps, de prêt, de partage, d’énergie, de service… mais aussi pour les échanger en toute transparence en peer-to-peer, de citoyen à citoyen. Je pars du principe que plus on donne, plus on reçoit. Et cela de manière autonome, sans avoir un tiers de confiance qui prendrait sa dime, comme AirBnB ou Uber peuvent le faire. Mais aussi l’État, comme on a tendance à l’oublier.
Comment voyez-vous le monde de demain ?
P.P. > J’imagine une partie de la société à l’image de la Ferme Royale du Berry, où l’agriculture de demain se mêle à l’énergie sociale, où l’on n’aura pas peur d’innover pour le bien de tous, où la bienveillance sera la norme. Pourquoi ne pas s’engager dans l’autonomie alimentaire par exemple, et trouver des solutions pour cultiver chez nous des avocats, riches en bienfaits pour la santé, plutôt que les importer du Pérou ? Pourquoi ne pas exploiter l’aquaponie pour être capable de faire pousser 50 kg de fruits et légumes par an sur un mètre carré dans un appartement en plein Paris ? Chacun d’entre nous peut trouver sa voie pour imaginer des solutions d’avenir. J’ouvre ma ferme à tous ceux qui veulent inventer le futur. Les sujets de réflexion sont nombreux.
[ L’expert ] Pierre Paperon : son ROI, c’est l’innovation !
Après avoir tenté l’Everest en 2001 et été consultant ou DG pour Havas, McKinsey, Apple, le groupe Danone, LastMinute.com, Altavista, ou encore Poweo, Pierre Paperon vient de créer La Ferme Royale du Berry, qu’il dédie à l’expérimentation d’innovations environnementales et transgénérationnelles.
Ces derniers mois, certains d’entre vous ont sans doute remarqué et suivi ses publications quotidiennes sur l’évolution de l’épidémie Covid-19, postées sur LinkedIn. Dès 7 heures du matin chaque jour, un million de personnes consultaient, « likaient », commentaient ses mises à jour. « J’ai initié ces bulletins météo sur la pandémie dès le 15 janvier 2020, rapporte-t-il. J’avais déjà un intérêt pour la modélisation des épidémies, que j’avais expérimenté dans le cadre professionnel pour le Laboratoire Wellcome pour le VIH et les trois Herpès en 1992 avec des réseaux neuronaux, et j’ai rapidement pris la mesure de la crise. Le 16 mars, je me suis mis au service des 60 millions de Français en confinement pour les informer factuellement à partir des informations, data et modèles statistiques du monde entier. Levé à 4 h du matin pour collecter et évaluer les informations, trouver des angles pertinents et produire quatre résumés en image, j’ai rédigé mes bulletins quotidiens, pour les publier à 7 h pétantes ! L’animation et la modération nécessitaient ensuite 3 nouvelles heures dans la journée. Mon objectif : poser les bonnes questions sur la connaissance du virus et l’état du monde en une minute. Et aussi construire un environnement propice à l’intelligence collaborative sur un réseau social, ce qui n’est pas le plus simple et sous-tend deux à trois règles simples, un peu comme peut le faire la géométrie euclidienne. Ce bulletin s’est rapidement transformé en rendez-vous, suivi par 30 000, puis rapidement 400 000 à million d’internautes tous les jours pendant 64 jours »
Pierre Paperon a bouclé son suivi quotidien le 21 mai 2020, puisque le déconfinement est désormais amorcé. Il a pris aujourd’hui un nouvel engagement : celui d’accueillir gratuitement des personnels soignants durant une semaine, pour chaque séjour à la ferme du Berry réservé par des vacanciers.
Crédits photos : © Pierre Paperon, © La Ferme Royale du Berry.