Villes moyennes et durables : l’innovation numérique au service de la transition écologique.

L’humanité a construit et vécu dans des bâtiments non « smart » depuis des millénaires et cela ne l’a pas empêché de traverser les âges et de vivre en harmonie avec son environnement alors pourquoi aujourd’hui devrions-nous passer à des bâtiments « smart » et à propos qu’entendons-nous par cela ?

Smart Building de quoi parle-t ’on et pour quoi ?

Il y a tout d’abord l’enjeu du réchauffement climatique avec l’urgence d’inverser cette tendance mortifère en réduisant massivement nos émissions de C02 alors que le bâtiment en représente aujourd’hui à lui seul 33% et combiné avec le transport, nous en sommes à prêt de 70%. Mais au-delà, il y a une composante nouvelle qui n’a jamais existé auparavant dans l’histoire de l’Humanité, c’est le niveau de la population mondiale. En à peine 150 ans nous sommes passé de 1 Md d’habitants à 8 Mds ! Or nous ne pouvons pas vivre à 8 Mds comme à 1 Md. Ce n’est pas possible. Il y a un réel problème de ressources et nous sommes contraints d’évoluer vers de nouveaux modèles et modes de vie pour optimiser ces ressources. Cela passe nécessairement par le bâtiment, la ville et l’usage que l’on en fait. Nous sommes de fait contraint de passer d’une société mue par la propriété sans considération des ressources environnantes à une société de l’usage avec un partage et une optimisation des ressources. Nous n’avons plus le choix et c’est en cela que le numérique est une opportunité dans la mesure où nous l’utilisions à bon escient. A titre d’exemples, il doit nous permettre une optimisation de l’usage des espaces dont le taux moyen d’utilisation est de 30% pour passer à au moins 50% voire 60% à terme. C’est tout à fait possible sans gêne pour l’usager, tout au contraire car cela lui permet de bénéficier d’un niveau de services augmenté. Cela permettra ainsi de diviser presque par 2 l’impact du bâtiment sur notre empreinte CO2 et de réduire également sa consommation énergétique par au moins 30% par un ajustement des ressources aux usages (comme par exemple l’occupation).

Il en va de même avec la mobilité et plus particulièrement les voitures qui sont aujourd’hui utilisées au maximum à 5 % de leur temps tandis qu’elles occupent près de 50 % de l’espace urbain. A l’heure de l’économie de la fonctionnalité, ceci n’est plus rationnel et là encore le numérique doit nous permettre de réduire au moins par 3 le parc de véhicules existant grâce à de nouveaux modèles autour de la multimodalité. Que nous le voulions ou non, nous évoluons irrémédiablement vers un monde hyper connecté, où tout citoyen, tout bâtiment, toute mobilité, tout équipement et infrastructure seront connectés et interagiront en temps réel. Il s’agit là d’une mutation majeure. Une mutation que je n’ai pas peur de qualifier de civilisationnelle, aussi importante que celle qui a suivi l’arrivée de l’écriture puis l’imprimerie ou encore l’invention de la machine à vapeur puis l’électricité. Sur les 2 dernières décennies, les activités humaines ont changé et cela s’est précipité avec la crise du covid. Ainsi nous ne travaillons plus comme avant. Il en est de même pour l’enseignement, la santé, le commerce, la culture, les loisirs, etc… or les bâtiments, eux n’ont pas évolué. Ils sont restés figés, dédiés à une activité alors même que nous aspirons à des bâtiments hybrides, multi-usages. Le costume est de fait étriqué et ne nous convient plus car ce bâtiment n’a pas évolué.  Il s’agit là d’un vaste chantier nécessitant rapidement d’adapter le parc existant des bâtiments et l’urbanisme à ces nouveaux usages pour plus de proximité, plus de sobriété et plus de mixité (d’usages et sociale). Il est de fait nécessaire de passer à des bâtiments serviciels s’adaptant en temps réel à leurs occupant et à leur quartier et permettant ainsi à un habitant de ne plus bénéficier des services uniques de son logement mais des services des bâtiments environnants à l’échelle de son quartier comme la mobilité, la logistique, l’accès à des espaces partagés, à des bornes de recharge ou encore à des soins et de l’assistance à distance, … Le numérique est dès lors au cœur de cette mutation. Un numérique qui se doit d’être sobre, maîtrisé et sécurisé. Sobre car utilisant si possible une énergie décarbonée et s’appuyant sur des systèmes ouverts et interopérables permettant la mutualisation des équipements et des systèmes. Maîtrisé, car répondant à des règles respectant la confidentialité. Sécurisé, car reposant plutôt sur des architectures décentralisées et en réseaux et répondant en permanence aux exigences en termes de cybersécurité.

La gouvernance de la donnée au cœur de cette mutation…de société

Se pose alors la question de l’accès aux données et de leur gouvernance. En effet, nous avons mené cette évolution en restant sur des vieux modèles, très verticaux et sans réelle approche globale ni transversale et cela ne marche pas ou très peu avec dans la plupart des cas des résultats n’étant pas à la hauteur des promesses. Beaucoup de systèmes dits numériques, sont encore très souvent déployées en silo, reposant sur des équipements et infrastructures propres et des systèmes fermés ne permettant pas de mutualisation et entrainant de fait une redondance de ces derniers avec un réel problème de coût et de consommation de ressources. Le numérique étant alors plus perçu comme un gadget La technologie pour la technologie plutôt pour que pour la sobriété et la satisfaction des usagers. Nombreux s’interrogent alors sur l’utilité de cette transition numérique et sur son bilan global et notamment environnemental. Il est en fait nécessaire de changer d’approche et de repenser les bâtiments, la mobilité, la ville autour du numérique, idéalement en partant d’une page blanche… Nous sommes restés dans une approche très centralisatrice et pyramidale, que je qualifie de Jacobine, tandis même que le numérique nous amène à une approche décentralisée, en réseau et donc plutôt Girondine. Alors que le citoyen et les usages sont au cœur de cette transition, nous sommes trop souvent restés dans une approche de sachants, top down sans réelle considération ou implication citoyenne. Cela ne marche pas et nous sommes de fait juste à l’aube de cette révolution numérique. A titre d’exemple, si vous considérez votre téléphone portable, ce dernier est devenu smart dès lors qu’il a été équipé d’un OS (IoS ou Androïd) qui a augmenté sa valeur servicielle grâce à de multiple application tournant sur cet OS comme la géolocalisation, l’audio, la vidéo, la messagerie, etc… Or aujourd’hui, le bâtiment dit intelligent n’est toujours pas doté de cet OS. Ainsi, à part quelques exceptions nous ne pouvons toujours pas parler de Smart Building ! Cet OS doit notamment permettre d’associer l’ensemble des données des parties prenantes qu’elles soient individuelles, privées ou publiques. L’équation n’est pas simple et requiert de nouveaux acteurs et métiers à commencer par le Tiers de confiance garant de la confidentialité et la sécurité de ces données et de leur accessibilité en temps réel à tout moment. Alors que nous allons vraisemblablement être confrontés cet hiver à une crise énergétique sans précédents, il sera nécessaire d’avoir un accès aux données énergétiques d’un bâtiment en temps réel et de manière prédictive, quel qu’en soient les parties prenantes et quel que soient l’origine (réseau, production ENR, stockage batteries ou H2, batteries des véhicules électriques, etc..) afin de les agréger à une plus grande échelle (quartier, ville, région…) et d’être en mesure d’opérer un effacement énergétique intelligent (smartgrid) et concerté. Faute de cela nous serons confrontés à des coupures ou des contingentements arbitraires, dramatiques tant pour les citoyens que les collectivités ou les entreprises. Malheureusement, nous sommes encore très loin de cela, car la plupart des systèmes sont en silos avec une grande complexité pour arriver à cette convergence numérique pré requis à tout effacement intelligent.  Ce cas d’usage est bien entendu extensible à d’autres comme la gestion de l’eau ou des déchets, l’accès aux bornes de recharge ou aux espaces, la sécurité des personnes et des biens, la santé, la mobilité, etc… Nous ne pouvons plus faire abstraction de cette interconnexion des équipements et des systèmes entre eux pour un pilotage intelligent en temps réel et cela passe nécessairement par une convergence numérique et une gestion locale des données au niveau d’un OS. Il s’agit d’un changement à 180 ° de ce qui est pratiqué aujourd’hui. Or face aux enjeux actuels, nous ne pouvons plus attendre et à ce titre les collectivités locales ont un vrai rôle à jouer en étant moteur dans cette transition. Il est en effet primordial qu’elle garde le contrôle de leurs données et qu’elles accompagnent également leurs administrés dans cette démarche. Il en va de leur souveraineté et de la souveraineté des territoires. Il faut repenser l’utilisation du numérique dans ce sens en partant de la base et des usages avec une approche transversale et globale et considérer la donnée ou méta donnée (donnée contextualisée) comme un bien commun. C’est essentiel.

Les collectivités locales légitimes pour se positionner comme « Tiers de confiance numérique » de leur territoire. Une réelle opportunité.

Alors que ces données sont aujourd’hui stockées le plus souvent dans des Méga Data Centers et dans le cloud de tiers, je préconise que celles-ci soient désormais hébergées localement dans des mini data centers eux-mêmes en réseaux avec une gouvernance locale. Afin d’associer toutes les parties prenantes du territoire, je préconise que cette gouvernance soit portée par une Assemblée Citoyenne (Ecclesia en grec) Numérique regroupant des acteurs publics, privés et des particuliers. Je parle ici d’un nouveau bâtiment à l’échelle du quartier ou de la ville, en interconnexion avec l’ensemble des OS de son territoire et incarnant l’ensemble des donnés locales. Ce mini data center pouvant être à la fois le hub numérique du territoire mais également un hub énergétique, un hub d’information et de communication, un hub de mobilité etc….

Par ailleurs, au-delà de cette notion essentielle de souveraineté, une telle architecture est plus écologique, car il est tout à fait possible d’alimenter entièrement ou partiellement ce mini data centers en énergies renouvelables (et pourquoi pas directement en courant continu car issues d’ENR ou d’unités de stockage (H2, batteries,..)). Elle est également bien plus sûr. Il est en effet beaucoup plus compliqué pour des hackers de s’attaquer à des dizaines de milliers de Data Centers Alors que certains élus s’interrogent actuellement sur l’empreinte écologique et l’enjeu éthique de ces super data centers sur leurs territoires, il est temps qu’ils reprennent la gouvernance de leurs données, pré requis de leur souveraineté à l’ère du numérique. C’est également pour eux une opportunité pour de nouvelles ressources et confirmer leur rôle politique local. Plutôt que de construire des Cathédrales, commençons par des Chapelles proches des citoyens. Nous ne sommes qu’au début de cette (r)évolution numérique. Ne laissons pas échapper nos données, la gouvernance des données conditionne de la gouvernance même de notre société. Il en va de notre souveraineté et de notre liberté.

Le présent contenu est issu d’une intervention d’Emmanuel François dans le cadre du congrès des Villes de France qui s’est tenu le 11 Juillet 2022 à Fontainebleau.

Crédits photos : © Emmanuel François © Villes de France