Un enseignement hybride, modulaire et plus juste en réponse aux enjeux démographiques et sociaux.

Dans le futur, on imagine l’éducation plus connectée, moins présentielle et avec des professeurs virtuels. Pour Olivier Laboux, Ambassadeur du Fonds MAJ, Président de l’université de Nantes et vice-Président de la Conférence des Présidents d’Université CPU, l’essentiel est ailleurs, avec une pédagogie différente, plus de justice sociale et un enseignement hybride (physique et connecté). Avec le Fonds MAJ, il partage sa vision de l’enseignement supérieur de demain.

Comment évaluez-vous l’enseignement d’aujourd’hui ?

Olivier Laboux > Le modèle français d’éducation s’inscrit dans un système qui favorise la sélection tout au fil de la scolarité. Un continuum démarrant à la maternelle, sous la pression des enseignants, des familles, de la société globalement. Ce que je ne considère pas comme un modèle d’égalité sociale. De nombreux jeunes en effet baissent les bras chaque année face à cette sélection omniprésente dans l’enseignement. C’est d’autant plus présent avec la situation de crise sanitaire actuelle, l’épidémie de Covid-19 risque d’accentuer les inégalités, même avec la mise en place de la continuité pédagogique. Car des disparités territoriales existent : zones blanches, réseaux bas débit, accès à internet limité, familles défavorisées accompagnant difficilement leur enfant, manque d’équipement numérique… Certains n’auront probablement pas encore reçu les cours. Sans compter tous les jeunes, qui ne pourront pas rattraper le retard accumulé après la crise, car pour eux le job d’été est indispensable pour financer leurs études. À l’échelle internationale, l’enseignement supérieur n’a pas forcément un modèle très juste non plus. Il constitue dans certains pays un vaste marché, où l’étudiant est un produit comme un autre. En Australie par exemple, le marché étudiant représente le 3e budget national. Rien de moins !

Le choix des voies d’orientation bien avant l’entrée dans l’enseignement supérieur n’est pas la règle dans le monde. Qu’en pensez-vous ?

O.L. > C’est en effet une spécificité française. Les choix d’orientation se faisaient jusqu’à présent relativement tard, vers 18 ans à l’entrée dans l’enseignement supérieur, même si une orientation se dessinait doucement avant, avec les filières S, ES ou L. La réforme du bac 2021 impose plus explicitement aux lycéens de choisir dès l’âge de 15 ans des enseignements de spécialité. Un choix de parcours difficile, qui inquiète bien des familles car il pourrait être déterminant pour l’accès aux études supérieures. On peut critiquer ou non cette nouvelle réforme, le problème ne se situe pas là. Chaque gouvernement propose sa propre réforme et celle-ci porte une logique de continuum entre le lycée et l’enseignement supérieur. S’agissant de cette réforme, comme d’autres, nous gagnerions collectivement à inclure dans une loi, a priori, les critères d’évaluation de la pertinence de la réforme. Prenons l’exemple de la plateforme d’admission dans l’enseignement supérieur ParcourSup : les éléments d’appréciation de la réforme ont été recherchés après une année de mise en place, et cela est normal pour justifier des fonds publics, mais sans les avoir posés ex ante, ce qui aurait été plus pertinent.

Selon vous, quels seront à l’avenir les meilleurs parcours ?

O.L. > Précisément, selon moi, il n’y aura plus de parcours mieux qu’un autre mais en revanche beaucoup plus de modularité et de passerelles entre les formations. Il convient de repenser l’enseignement supérieur en proposant différentes briques dans lesquelles les étudiants pourraient piocher en fonction de leurs objectifs d’avenir, plutôt qu’un parcours dessiné à l’avance. Cet enseignement modulaire apporterait beaucoup plus de liberté et de mixité dans les études. Il ouvrirait de nouvelles possibilités que l’on n’imagine peut-être pas encore et préparerait aux métiers de demain. Cette formation à la carte existe dans certains pays déjà. La Finlande par exemple, accueille sur les bancs de ses universités un grand nombre de salariés – ils représentent 50 % de la population étudiante – et leur permet de valider leur cursus par module. Ce qui offre plus de diversité et d’ouverture dans les parcours. Aux Etats-Unis, la Californie permet aux établissements publics d’accepter que les étudiants valident leurs modules universitaires soit en venant en cours soit via des cours en ligne de l’université (quand les cours sont complets), afin de mener leur cursus comme ils le souhaitent. En France, cette évolution va être compliquée à mettre en place car l’éducation est très centralisée, mais on constate déjà des frémissements dans ce sens. La première année de médecine par exemple est désormais accessible à des non scientifiques, qui ont commencé par des études de droit ou de philosophie. A l’université de Nantes, nous avons décidé de proposer depuis janvier 2019 un nouveau cursus à la carte, plutôt qu’imposé, pour suivre des cours de master indépendants, dont certains en ligne. NeptUNE – c’est son nom – offre des formations modulaires, personnalisées et basées sur l’acquisition de compétences pour favoriser la réussite des étudiants et mieux les accompagner dans leur parcours. Il permet d’obtenir les diplômes à un rythme adapté, 4 ans au lieu de 3 pour les étudiants qui ont besoin, par exemple, d’avoir un emploi pour financer leurs études. Le projet NeptUNe a été lauréat de l’appel à projet ″Nouveaux cursus à l’université″ du programme d’investissements d’avenir de l’Etat. C’est une vraie révolution culturelle dans l’enseignement supérieur qui permet de diversifier les modalités d’apprentissage, de rapprocher les enseignements des attentes des étudiants et d’ouvrir la porte à de nouvelles populations à l’université.

Et demain, comment devrait se transformer l’enseignement ?

O.L. > Vous l’aurez déjà compris : je n’imagine pas l’école et l’université du futur sans apporter plus d’équité et de justice sociale. Dans cette perspective, il faudra en premier lieu se poser la question de la pédagogie. En France, l’apprentissage est fondé sur le modèle traditionnel ″déductif″. Tout part de l’enseignant qui transmet par des méthodes didactiques adaptées les savoirs à l’élève ou l’étudiant, qui sera alors évalué sur ses connaissances. D’autres pays, comme le Canada, préfèrent le modèle d’éducation ″inductif″, pour lequel le point de départ est l’étudiant, guidé par un enseignant, qui va apprendre en se forgeant une expérience à partir d’observations, de résolutions de problèmes, de manipulations. L’élève va ainsi acquérir des compétences. L’exemple de Université de Sherbrooke au Canada est en ce sens inspirant. L’université est engagée depuis 25 ans déjà dans l’enseignement inductif et en illustre parfaitement les atouts, avec d’excellents résultats. Elle se classe parmi les meilleures universités canadiennes en santé, grâce à l’apprentissage par la pratique, ses approches pédagogiques et la qualité des relations entre élèves et enseignants. 

Enfin, je crois vraiment au bénéfice du développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, qui permet de mettre en adéquation formation et besoins réels des entreprises. Après avoir travaillé sur la pédagogie et l’ouverture de l’enseignement supérieur, il sera alors temps de songer à créer des campus numériques.

[ Quésako ] L’enseignement « déductif » et « inductif » ?

Les deux modes d’enseignement déductif et inductif répondent à des approches opposées.

Le premier, déductif, est depuis toujours privilégié en France. Il va du général au particulier et du principe à la conséquence. Il consiste pour l’enseignant à transmettre aux étudiants des savoirs théoriques et conceptuels avant de les mettre en application. La méthode déductive est souvent privilégiée pour les grands groupes d’élèves.

Le second mode, inductif, est empirique et personnalisé. Il va du concret à l’abstrait. Ainsi, il place l’élève dans une situation où il s’approprie de lui-même des compétences, par l’exploration et la découverte. L’enseignant joue alors le rôle de guide pour accompagner l’étudiant dans ses apprentissages. Celui-ci peut ensuite confronter ce qu’il a appris à d’autres cas et d’autres situations. La méthode inductive favorise l’interaction, la compréhension et la mémorisation. Elle est préférée quand il s’agit de susciter l’intérêt des étudiants et d’accroître leur motivation.

Avez-vous déjà expérimenté ces nouveaux modes d’enseignement supérieur ?

O.L. > Depuis que je suis Président de l’université de Nantes, j’ai cherché à faire bouger les lignes, à ouvrir de nouvelles possibilités à des jeunes qui croyaient en être exclus. Je me suis notamment opposé à la dérégulation des prix d’inscription des étudiants hors Europe. Nous avons rapproché les enseignements des technologies et des sciences des grandes écoles et de l’université, pour créer des passerelles et permettre à des étudiants de milieux défavorisés  d’y accéder sans s’auto-censurer. Les compétences ont pris le pas sur les connaissances, privilégiant les capacités à analyser, à poser les problématiques et à mener des raisonnements. 

Et sur la question du campus connecté, quel est votre point de vue ?

O.L. > Nous avons aussi accéléré notre transition digitale, dans le cadre d’une démarche de co-construction au bénéfice des étudiants et ouverte aux acteurs de la FrenchTech. L’objectif est de proposer un enseignement hybride, à l’image de l’université Laval (Québec), qui mêle les apprentissages en présentiel avec la formation connectée. Pour lutter contre le décrochage de ses étudiants, l’université canadienne dispose notamment d’un logiciel associant qualité pédagogique et suivi personnalisé. Nous visons à l’importer à Nantes.

Un autre projet est en cours, qui me motive profondément. Il s’agit de la transformation des halles d’Alstom, qui autrefois fabriquaient des hélices de bateaux, pour réinventer l’université du 21e siècle, ouverte au territoire, transversale, pluridisciplinaire et connectée. Elle proposera des formations dispensées avec des start-ups, des entreprises alliant présentiel et virtuel. Notre idée est de redonner du sens à ce que nous faisons, d’expérimenter des solutions hybrides et d’essaimer nos initiatives de promotion sociale et d’excellence dans l’enseignement supérieur. 

Enfin, dans le contexte flou des étapes de déconfinement après l’épidémie de Covid-19, nous avons su innover face au casse-tête des examens en décidant de faire passer à distance tous les examens de second semestre à nos quelque 40 000 étudiants. En France, c’est une première !

[ L’expert ] Olivier Laboux, pour une université d’excellence qui favorise la main tendue

Nantais, Olivier Laboux a suivi des études pour devenir chirurgien-dentiste dans sa ville d’origine puis effectué des recherches à l’université de Montréal au Canada. Après avoir ouvert un cabinet, il s’est vite persuadé de travailler à l’accès aux soins en recours subi à l’hôpital public, populations précaires, handicapées, détenues notamment. Une mission qu’il a mise en pratique en devenant chef de service au CHU.

Le parcours d’Olivier Laboux est aussi jalonné de très nombreuses prises de responsabilités. Il est devenu professeur d’université en 2003, Président de la fac dentaire… pour s’intéresser enfin à la Présidence de l’université de Nantes en 2012, où, plus que jamais, il a mis sa fonction au service de l’accès à l’enseignement et à la réussite pour le plus grand nombre, comme à l’excellence de la formation.

Crédits photos : © Olivier Laboux, © Université de Nantes.