Pour PRÉSERVER L’ENVIRONNEMENT, dans un monde où l’explosion démographique est sans précédent et où l’urbanisation est galopante, le Fonds MAJ préconise de transformer radicalement les process de la construction, responsable d’un quart des émissions de gaz à effet de serre. Les bâtiments doivent devenir plus performants pour réduire leur empreinte carbone. Pour Pascal Chazal, Ambassadeur du Fonds MAJ et pionnier de la Construction Hors-Site®, l’évolution se fera à la condition que l’immobilier effectue enfin sa révolution industrielle. Interview.
Pourquoi dites-vous que l’immobilier n’a pas encore amorcé son virage industriel ?
Pascal Chazal > Dans l’immobilier, le sur-mesure est la règle. Chaque nouveau bâtiment, chaque nouvelle maison, est finalement un prototype. Il est impossible dans ces conditions de capitaliser sur les retours d’expérience et de s’améliorer. Cela nuit à la productivité du secteur et conduit à la hausse des prix. Selon une étude McKinsey, le bâtiment n’aurait fait aucun gain de productivité depuis 30 ans. Une étude de l’Observatoire Construction Tech® affirme même que la productivité du secteur de la construction aurait chuté de – 20 % depuis 2001. Elle souligne aussi les effets bénéfiques possibles de l’émergence de la construction Hors-Site. Selon les experts, les gains de productivité attendus s’élèveraient jusqu’à + 70 %.
Comment faire évoluer la situation ?
P.C. > Depuis 40 ans, j’essaie d’agir à mon échelle, précisément en développant la construction Hors-Site. L’objectif est d’accélérer les process industriels et d’améliorer en continu les performances du bâtiment pour limiter les consommations d’énergie. Le principe ? Privilégier la production en usine d’éléments préfabriqués qui seront acheminés et assemblés sur site, plutôt que la construction sur chantier. L’utilisation du numérique est aussi porteuse de promesses en matière de process et de qualité. Or, les entreprises de préfabrication exploitent déjà depuis des dizaines d’années la conception assistée par ordinateur et les machines à commande numérique, tandis que le secteur de la construction accuse toujours un retard dans le digital.
[ Quésako ] Construction Hors-Site®, construction 4.0 : quelle différence ?
Les notions de construction Hors-Site et de construction 4.0 sont proches. Elles concernent toutes les deux la préfabrication d’éléments du bâtiment en usine, suivie par un acheminement et un assemblage sur site. Elles constituent un vrai changement de culture : de la culture du chantier à celle des process industriels. Elles bénéficient également toutes les deux des nouvelles technologies du numérique, comme le BIM (modélisation 3D du bâtiment qui facilite toutes les étapes de la construction, de la conception à l’exploitation).
Néanmoins, si la construction Hors-Site® se caractérise par l’industrialisation, l’automatisation, la standardisation des process, la collaboration entre les métiers, la modularité et la flexibilité des bâtiments, la construction 4.0 va clairement plus loin dans le sens de la transformation digitale du secteur et le mode constructif est lié au numérique : chantiers connectés, e-pilotage des process, BIM, impression 3D, maintenance augmentée…
Quelles réponses le Hors-Site apporte-t-il aux enjeux de notre société ?
P.C. > Sur le volet environnemental, la construction Hors-Site présente les avantages de produire moins de déchets et de diviser par 5 le nombre de camions qui desservent les chantiers, puisqu’ils apportent les modules préfabriqués plutôt que tous les matériaux de construction séparément. Je parie aussi sur l’emploi de matériaux respectueux pour l’environnement, comme le bois ou l’acier, recyclable à 100 %, et sur la réutilisation d’une partie des matériaux de déconstruction, pour bâtir une ville plus durable.
La construction Hors-Site permet aussi de nous adapter à la tendance incontournable d’un immobilier plus flexible et de favoriser l’occupation temporaire du foncier. La Poste, par exemple, possède des terrains, sur lesquels l’entreprise projette d’installer un parc de logements modulaires pour des réfugiés. Des terrains, qu’elle pourra facilement réutiliser lorsqu’elle en aura besoin dans le cadre de ses activités, les modules seront déplacés ailleurs.
Quelles sont les réalisations qui illustrent les bénéfices du Hors-Site ?
P.C. > Dans le monde, les exemples de réussites ne manquent pas, comme l’illustre le succès de Boklok (IKEA), désignée en 2018 et 2019 constructeur de l’année en Suède, avec 1 300 logements par an fabriqués en atelier 25 % moins chers que ceux de la concurrence. Une étape importante pour le déploiement du mode constructif Hors-Site a été franchie en Chine dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, avec l’édification en 10 jours seulement de deux hôpitaux capables d’accueillir 1 000 et 1 600 patients respectivement ! Cet exploit nous amène à réfléchir. A l’avenir, il faudra effectivement construire plus, des écoles, des logements, des EHPADs. On estime que dans 20 ans, la France comptera 85 % de personnes très âgées en plus par rapport à aujourd’hui. Le nombre de structures pour les héberger devra donc augmenter de manière exponentielle et la construction Hors-Site contribuera à ce déploiement. Le Royaume-Uni en a déjà saisi tous les bénéfices : pour bâtir les 4 000 établissements scolaires dont il a besoin dans la future décennie, le pays a engagé un programme Hors-Site pour la construction d’écoles clé-en-main, avec des résultats très étonnants. Une école pour 500 élèves a par exemple été construite en 15 semaines !
J’ai moi-même investi dans la construction bois et j’ai créé et dirigé Ossabois de 1981 à 2002, qui est devenue leader en se développant sur le modèle constructif Hors-Site. J’ai même été plus loin en fondant Aqua-logis, consacrée à la fabrication modulaire de salles de bain en usine. En 20 ans, nous avons construit 15 000 logements, produits en zone rurale défavorisée dans les Monts du Forez et les Vosges et livrés en zones urbaines, contribuant ainsi à effacer les inégalités d’emploi entre les territoires. Enfin, la construction Hors-Site comme je l’envisage doit privilégier le lien humain et favoriser l’entraide et les initiatives. C’est en tout cas de cette manière que j’imagine l’entreprise de construction du futur, collaborative, humaine, durable et digitale.
[ L’expert ] Pascal Chazal, pionnier de la construction Hors-Site® en France
Fondateur de l’entreprise Ossabois, spécialisée dans la construction bois, Pascal Chazal est à la tête du groupe Hors-Site®, qui édite le seul magazine en France dédié à la construction en usine. Il dirige également le premier cabinet spécialisé en Hors-Site, qui accompagne aussi bien les maîtres d’ouvrages que les industriels.
Pascal Chazal a récemment lancé le Campus Hors-Site®, une plateforme d’apprentissage en ligne pour former l’ensemble des acteurs de la chaîne de la construction, à la conception, à la production en usine, à la logistique, au management du chantier et à la maintenance. Il a aujourd’hui le projet d’ouvrir une école dédiée en Rhône-Alpes.
Crédits photos : © Ossabois, © Pascal Chazal.